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Comment sortir de la crise

With Robert Malley, Jeune Afrique, 16 July 2006


Pour l’ancien conseiller de Bill Clinton, l’État hébreu doit revoir radicalement ses positions. Car, s’il persiste, le pire est encore à venir...

Depuis l’enlèvement du caporal israélien Gilad Shalit par des militants palestiniens, tous les acteurs du drame de Gaza ont joué leur rôle habituel : ne sachant que faire, ils ont fait ce qu’ils savent faire.

Le Hamas - le gouvernement palestinien élu -, c’est la violence ; Israël, ce sont les représailles collectives ; et la communauté internationale, disons, pas grand-chose. Tout cela ne mène nulle part et certainement à rien de bon. Toutes les parties ont désespérément besoin de revoir leurs positions, avec pragmatisme. Pour commencer, il est indispensable de bien comprendre la nature de la crise. Les analystes israéliens et occidentaux ont vite conclu que, pour le Hamas, la reprise des attaques armées reflétait de profondes dissensions internes. Les partisans de la ligne dure, presque tous en exil, auraient provoqué l’affrontement pour embarrasser le gouvernement, plus pragmatique et préoccupé par sa propre survie. Ce sont les tensions au sein du Hamas qui seraient à l’origine de la violence. La meilleure façon d’y mettre fin serait donc d’isoler l’aile radicale tout en faisant pression sur les dirigeants, en Palestine, pour les amener à opérer une rupture décisive au sein du mouvement islamiste.

Le Hamas a bel et bien été empêché de gouverner. Depuis les élections du 25 janvier, tout le monde - du Fatah, le rival laïc, à Israël et du monde arabe à l’Occident -, a adopté à peu près la même stratégie : faire pression sur le gouvernement, l’isoler, le priver de ressources financières et tabler sur le mécontentement populaire provoqué par son inefficacité pour que l’expérience du Hamas au pouvoir tourne court.

La vérité est que l’opération contre un poste militaire de Keren Shalom n’avait son origine ni dans un commanditaire anonyme ni dans les divisions internes du Hamas, mais qu’elle s’explique essentiellement par les calculs des islamistes, qui entendent démontrer qu’ils ont d’autres solutions que la stratégie électoraliste - et que les conséquences de l’échec de leur gouvernement doivent être supportées par tous.

On comprend que, dans ce contexte passablement lourd, les dirigeants israéliens puissent croire qu’ils n’ont d’autre choix que de punir le peuple palestinien en violation du droit international. Ils veulent préserver leur capacité de dissuasion et prévenir de nouveaux enlèvements. Mais obtiendront-ils pour autant la libération de leur soldat ? Vont-ils renforcer le courant pragmatique chez les Palestiniens ? Et rétablir le cessez-le-feu ? Pour le moment, on ne peut que se borner à espérer qu’à travers les épreuves et les erreurs ils en viendront à mieux comprendre la situation. Car la confrontation en cours ne fait que renforcer les soutiens du Hamas, consolider ses rangs et réduire ses détracteurs au silence.

Rien de tout cela n’est très réjouissant, mais peut néanmoins suggérer une manière de s’en sortir. Les grandes lignes d’un éventuel accord n’ont rien de mystérieux : Israël veut la tranquillité et le Hamas veut être en mesure de gouverner. Ce dernier doit libérer le soldat, rétablir la trêve et empêcher les milices de tirer leurs roquettes. Israël doit mettre fin à son incursion à Gaza, arrêter ses opérations militaires disproportionnées dans les Territoires occupés et libérer les ministres et députés récemment incarcérés ainsi que les prisonniers palestiniens qui n’ont pas commis de délits.

Pour parvenir à un tel accord, il faudrait la médiation d’une tierce partie, qui intervienne de manière beaucoup plus active et déterminée que tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Mais l’accalmie qui en résulterait serait de courte durée si le boycottage international de l’Autorité palestinienne venait à se poursuivre. Une telle décision a toujours été en contradiction avec l’objectif proclamé par l’Europe et les États-Unis d’encourager l’évolution du Hamas. Elle l’est encore plus aujourd’hui alors qu’il s’agit d’empêcher une détérioration générale de la situation.

La récente conclusion d’un accord entre le Fatah et le Hamas en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’habilitation de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, en tant que responsable des négociations avec Israël n’ajoute rien aux conditions posées auparavant par le Quartet. Pour insuffisante qu’elle soit, cette évolution n’en est pas moins prometteuse. La situation est tellement grave que l’UE devrait reconsidérer sa position excluant du bénéfice de ses subsides les fonctionnaires et les agents de sécurité palestiniens.

Selon le consensus qui prévaut en Occident depuis les élections palestiniennes, nul ne doit traiter avec le Hamas tant que celui-ci n’aura pas modifié fondamentalement son idéologie. Une position parfaitement défendable tant qu’on n’a pas, comme c’est le cas actuellement, quelque chose à demander au mouvement islamiste : l’arrêt de la violence ou la libération d’un otage, par exemple. Il est loin d’être assuré que l’accord évoqué plus haut puisse se concrétiser. Mais l’alternative est connue de tous : elle est désespérément déprimante.

Ancien ministre des Affaires étrangères de l’Australie, Gareth Evans préside l’International Crisis Group (ICG), une organisation non gouvernementale qui analyse les risques de conflits dans un but de prévention.

Ancien conseiller de Bill Clinton, Robert Malley dirige le programme Moyen-Orient/Afrique du Nord de l’ICG.