Deux dangers : la prolifération nucléaire et le terrorisme
Le Monde, 19 October 2005
Quels enseignements tirez-vous du rapport du Human Security Center publié à New York ?
Il y a une réduction du nombre de conflits et une réduction de nombre de morts. Dans les années 1950 ou 1960, une guerre faisait 30 000 à 40 000 morts, contre 600 aujourd'hui. Ce qui a changé est la nature des conflits, et que seules 10 % des victimes d'un conflit le sont d'une violence directe, par rapport aux causes indirectes comme la maladie, la malnutrition, etc.
Pourquoi cette réduction du nombre de guerres ?
Pour trois raisons : la fin des guerres coloniales, car elles étaient une source phénoménale de morts ; la fin de la guerre froide, qui a nourri beaucoup de conflits dans le monde et qui entretenait beaucoup de régimes autoritaires, tueurs de leurs propres populations ; enfin, pour une troisième raison, la meilleure, c'est l'intense activité diplomatique déployée dans la recherche de la paix et son maintien.
A propos de diplomatie, il y a certes eu des échecs, des catastrophes, la Somalie, la Bosnie, le Rwanda, mais il y a eu aussi des succès, notamment pour l'ONU, en Namibie, au Cambodge, au Timor-Oriental. Il y a eu plus de conflits civils résolus par la négociation ces quinze dernières années que pendant les deux siècles précédents ! Aujourd'hui, le Burundi est un exemple extraordinaire, notamment grâce à un effort international considérable.
La vérité, c'est que, quand nous essayons de résoudre des conflits, nous ne perdons pas notre temps. Nous progressons peu à peu. Au sommet de l'ONU en septembre, décevant en général, nous sommes parvenus à un accord sur l'essentiel : la responsabilité de protéger les populations quand un Etat ne protège plus lui-même sa propre population.
Bien sûr, il y a une différence entre des idéaux et ce qui se passe réellement chaque jour. Mais il devient de plus en plus difficile de dire qu'un conflit ne regarde personne.
Les arrestations des dictateurs Slobodan Milosevic ou Saddam Hussein, la création d'une Cour pénale internationale (CPI) jouent-ils un rôle dans ce phénomène ?
Il est très important d'avoir un dispositif judiciaire permanent. Il est excellent de savoir que chacun peut se retrouver confronté à la CPI. Le fait que les Etats-Unis aient autorisé cette résolution sur le conflit du Darfour et la CPI est un grand changement dans l'attitude Washington, opéré depuis l'arrivée de Condoleezza Rice à la tête du département d'Etat.
Que pensez-vous de l'idée, très américaine, d'imposer la démocratie dans le monde ?
La démocratie, c'est admirable. La démocratie est créatrice de paix. La question est la transition vers la démocratie. C'est le problème central. Que faire avec le Zimbabwe, l'Egypte, l'Asie centrale, le Pakistan ? Nous devons travailler pour la démocratie, mais je crois que nous ne devons pas être naïfs. Et les néoconservateurs américains, à l'origine très idéalistes, réalisent que tout ne s'impose pas par la force.
Quels sont les principaux dangers qui menacent aujourd'hui la sécurité de la planète ?
Je crois qu'il y a deux dangers principaux.
Le premier est la prolifération des armes de destruction massive. C'est très, très inquiétant. Quand le verrou de l'impératif moral saute, nous courons un très grand risque. Surtout, je crois, avec le nucléaire, davantage qu'avec les armes chimiques ou bactériologiques.
Le second est le terrorisme, y compris d'ailleurs l'utilisation de l'arme nucléaire par des terroristes. Un groupe déterminé peut tromper les meilleures polices et services de renseignement du monde.
Par ailleurs, je suis aussi très inquiet par la perte d'influence de la notion d'ordre international, par ce discours de l'administration américaine qui consiste à dire que le monde n'a pas besoin de l'ONU.
Il faut combattre l'unilatéralisme et prôner la coopération. Il faut transformer des engagements intellectuels et moraux en un système de sécurité international.
Gareth Evans is the President of the International Crisis Group.
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